The National en quelques mots / Mowno
Composé d’amis d’enfance et de membres de la même famille, The National est de ces groupes qui, unis à vie par les liens du sol et du sang, définissent parfaitement les notions de clan, ancrage et fidélité. Développons un peu. Tout, ou presque, commence en 1999 à Brooklyn. Le presque trentenaire Matt Berninger, qui s’ennuie alors copieusement mais confortablement dans l’univers merveilleux de la publicité, fonde The National en compagnie de camarades de longue date, les frères Devendorf et Dessner. Tous quatre sont, comme lui, originaires de Cincinatti dans l’Ohio. Le quintet trouve instantanément ses marques et se répartit équitablement rôles et responsabilités. Bryan et Scott Devendorf, essentiels et discrets travailleurs de l’ombre, se voient logiquement confier la section rythmique. Les jumeaux Aaron et Bryce Dessner, créatifs et complémentaires, s’approprient – pour faire simple – compositions et orchestrations. Berninger, baryton à la prestance shakespearienne, s’impose naturellement comme frontman. Cinq hommes, trois patronymes et deux fratries qui resteront à jamais synonymes d’intégrité, constance et engagement. Et qui, accessoirement, feront basculer le songwriting US traditionnel, biberonné à l’Americana et Johnny Cash, dans une nouvelle ère et une autre dimension.
Après des débuts timides et proches du confidentiel sur Brassland, label un peu fondé pour l’occasion par les frérots Dessner, The National attire l’attention de la tête chercheuse Sean Bouchard et son Talitres naissant. Distribué par l’écurie bordelaise et défendu bec et ongles sur France Inter par Bernard Lenoir, Sad Songs For Dirty Lovers permet au groupe de gagner en visibilité et notoriété. Petit à petit, l’oiseau fait son nid. La France, pays des droits de l’homme et de Gérald Darmanin, s’avère rapidement trop petite pour une formation d’une telle envergure. Alligator (2005) sortira ainsi sur Beggar Banquet et posera la première pierre d’un triptyque majestueux, proche de la perfection, que viendront ensuite compléter le chef d’œuvre Boxer (2007) et le très classieux High Violet (2010).
Au sommet de son art, The National aurait pu se noyer dans l’ego et se contenter de critiques unanimes et dithyrambiques. Ou, parce qu’il ne faut jamais oublier la froide réalité du quotidien, se satisfaire de ventes dépassant toutes ses espérances. Il n’en fut rien. Adultes et responsables, Berninger et sa troupe font le choix de s’impliquer. Politiquement, tout d’abord. Les garçons soutiendront haut et fort Barack Obama en 2008 et 2012 (Fake Empire servira même de bande son à un clip de campagne). Humainement, ensuite. Sous l’impulsion des Dessner, le groupe orchestrera, à des fins caritatives, la réalisation de l’excellente compilation Dark Was The Night (2009) et de l’inclassable Day Of The Dead (2016), tribute aux pères fondateurs Grateful Dead. Les bénéfices des deux disques, sur lesquels on peut notamment retrouver Arcade Fire, Feist, Flaming Lips ou David Byrne, seront intégralement reversés à Red Hot Organisation et ses actions de lutte contre le SIDA. Après un très réussi et – une nouvelle fois – totalement maîtrisé Trouble Will Find Me (2013), la petite tribu décide, sans toutefois y parvenir, de se réinventer. Coups d’épée dans l’eau (ou pas loin), le sombre et littéraire Sleep Well Beast (2017) et le beaucoup trop long I Am Easy To Find (2019) s’oublieront assez vite, contrairement au nouvel opus First Two Pages Of Frankenstein, dont les premiers extraits (New Order T-Shirt, Tropic Morning News) et les collaborations annoncées (Sufjan Stevens, Phoebe Bridgers…) laissent sereinement envisager le meilleur.