Broken Bells-Into The Blue / Mowno
Il existe en Italie, dans la province de Bologne, un mot qui n’est utilisé nulle part ailleurs : ‘umarell’. Les gens du cru l’emploient pour décrire le grand-père qui, béret rivé sur le crâne et les mains dans le dos, passe le plus clair de son temps à contempler chantiers et autres constructions en cours en opinant du chef. L’analyse du vieux sage – qui maîtrise forcément l’air entendu et le regard en coin comme personne – se résume bien souvent à un simple et péremptoire ‘Y a pas à dire, c’est du bon boulot’ qui en fait toute la richesse. Le troisième long format de Broken Bells réveillera l’umarell au compliment facile qui sommeille en chacun de nous. Parce que, il faut bien l’avouer, Into The Blue, c’est du bon boulot. Du sacré bon boulot, même.
Rares sont les artistes qui, sans jamais pactiser avec le diable, parviennent à concilier mainstream et orfèvrerie. N*E*R*D, The Neptunes ou Daft Punk, l’évidence même, sont les premiers noms qui viennent à l’esprit. Les Pet Shop Boys, quitte à faire hurler le puriste, pourraient également être cités. Ne pas inclure Broken Bells dans cette liste serait un manquement impardonnable. James Mercer et Brian Burton sont en effet très certainement les seuls aujourd’hui, avec peut-être Tame Impala, à être susceptibles de fédérer autant. De faire vibrer, sur un même terrain d’entente et pied d’égalité, celui qui se satisfait pleinement des playlists de la bande FM et le passionné exigeant aux choix (parfois) sectaires.
Retrouver, après huit ans d’absence, le duo formé par le leader de The Shins et l’alchimiste Danger Mouse est un plaisir que l’on ne saurait bouder. After The Disco (2014), plus proche du pétard mouillé que du feu d’artifice, avait quelque peu frustré tous ceux qui, en 2010, avaient succombé aux charmes d’un premier album éponyme proche de la perfection. Il n’était donc envisageable pour personne de voir à nouveau la montagne accoucher d’une souris. Exiger des deux pyrotechniciens un son et lumière digne des frères Ruggieri s’avérait par conséquent la seule option possible après une si longue attente.
Nos vœux pieux ont été exaucés. Subtil et aérien, Into The Blue s’écoute comme la bande son onirique d’un film qui n’a pas encore été tourné. James Mercer, christique et proche de la rupture, n’a jamais aussi bien chanté que sur le faussement dépouillé Invisible Exit. On l’imagine même très bien, les bras en croix et les yeux fermés, tutoyer les anges sur l’incroyable symphonie We’re Not In Orbit Yet (sans nul doute le plus beau morceau de l’année). One Night et le single Saturdays rappelleront le meilleur du groupe à ses débuts. La rythmique bancale de Forgotten Boy donnera l’envie furieuse de réécouter l’indispensable Endtroducing… de DJ Shadow. A notre grande surprise, le grandiloquent Love On The Run et son interminable solo à la Pink Floyd réussira même à nous faire aimer l’inacceptable. The Chase et Fade Away, placés en fin de disque, conforteront dans l’idée que Danger Mouse est assurément le plus grand producteur ou réalisateur – car c’est ainsi qu’il se voit – de sa génération. Un Midas des temps modernes qui transforme en or tout ce qu’il touche, comme l’illustre si bien le récent Cheat Codes enregistré avec Black Thought. Sans atteindre les sommets de l’insurpassable LP Broken Bells, l’intemporel et sublime Into The Blue doit néanmoins être considéré comme une œuvre magistrale, pour ne pas dire essentielle.