Yo La Tengo en quelques mots / Mowno
Le vénézuélien Elio Chacón, seconde base des New York Mets du début des sixties, ne parlait pas un traître mot d’anglais. Il prit rapidement l’habitude, pour se faire comprendre de ses coéquipiers et – accessoirement – s’éviter bien des tampons sur le terrain, de crier ‘Yo la tengo‘ (‘Je l’ai‘ en VF ou, si vous préférez, ‘Je gère‘ en dialecte adolescent) au moment de catcher les balles arrivant dans sa zone. Le joueur de baseball est, depuis longtemps, tombé dans l’oubli. Son cri de guerre, quant à lui, est entré à jamais dans la postérité depuis qu’un groupe lambda du New-Jersey, terrain de jeu des Sopranos affectueusement surnommé ‘l’Aisselle de l’Amérique’, a décidé d’en faire son nom de scène au mitan des années 80.
Ira Kaplan et sa compagne Georgia Hubley sont tous deux originaires d’Hoboken, banlieue middle-class sans âme située à quelques encablures du Lincoln Tunnel, souterrain de béton menant tout droit au Chelsea Hotel cher à Leonard Cohen. Les accès qui mènent au sublime, comme dirait Nietzsche, se trouvent à proximité mais nécessitent néanmoins l’usage de la bagnole. Plus beaux, plus arty et plus new-yorkais, Ira et Georgia se seraient vraisemblablement appelés Thurston et Kim. Et leur groupe, Sonic Youth. Bref. Après quelques premiers albums plutôt nerveux, Yo La Tengo commence à faire parler de lui en 1990 avec Fakebook, disque de reprises acoustiques un brin obscures (John Cale, Daniel Johnston…), né ‘un peu par accident’. L’arrivée à la basse de James McNew en 1991, ainsi que la doublette May I Sing With Me (1992) et Painful (1993 – leur premier LP sur Matador), marque ensuite le début de ce que les puristes – ou, soyons honnêtes, les plus anciens – qualifieront comme sa meilleure période. Electr-O-Pura et le très abouti I Can Hear The Heart Beating As One voient, dans la foulée, le trio repousser loin, très loin, les limites du combo guitare / basse / batterie (agrémenté toutefois d’un peu de clavier). Simili noise, expérimental, classic rock, longues digressions improvisées, folk, pop, musique de cowboy (enfin, ça a peut-être un autre nom) : Yo La Tengo mélange les genres avec une modestie et une facilité déconcertantes. Le groupe devient à cette période, et sans jamais l’avoir recherché, une référence incontournable digne de prendre ses repas à la même table que Pavement, Sebadoh et Dinosaur Jr.
Experts dans l’art de la reprise, travailleurs de l’ombre et anti héros par excellence, les Yo La Tengo ont su, contrairement à leurs voisins de tablée, s’inscrire dans la durée. Depuis bientôt quarante ans, Ira, Georgia et James se rappellent régulièrement à notre bon souvenir, un peu comme ces vieux camarades de lycée que l’on retrouve avec plaisir le temps de vacances passées au pays. Les disques se suivent sans pour autant se ressembler. De l’intime Summer Sun (2003) au savant Fade (2013) produit John McEntire, leur simple existence suffit à rassurer. Bien évidemment, avec le temps, l’effet de surprise a disparu et la passion s’est progressivement muée en tendresse. Peu importe. Les sentiments sont, et seront, toujours là . Et puis, après tout, un groupe qui a eu la présence d’esprit d’intituler un de ses albums ‘J’ai pas peur de toi et je vais te botter le cul’ (I Am Not Afraid Of You And I Will Beat Your Ass – 2006) ne peut que mériter respect et sympathie.