Shame – Food For Worms
Troisième album de Shame pour relancer la machine.
Avec « Food For Worms », on rejoue l’histoire assez banale du groupe acclamé avec un premier album, qui a tenté de ne pas se répéter sur le second album, avec un succès mitigé, et se retrouve, au moment du troisième album, entre l’équation « retour aux bases » ou « poursuite de la mue mais en corrigeant le tir ». Une équation d’autant plus vraie que, l’an dernier, les performances live du groupe emmené par Charlie Steen étaient emblématiques d’un certain entre-deux. Une énergie et une générosité au rendez-vous mais un rendu assez flou, avec des ruptures de rythme au milieu des morceaux qui, dans le cataclysme des guitares, prêtaient plus à confusion qu’autre chose. L’équation était en outre encore moins simple à résoudre que « Drunk Tank Pink », second album paru en 2021, s’avérait un peu dur à digérer par moments, tout en faisant montre d’une certaine virtuosité pour conjuguer énergie brute et structures complexes.
Ce qui a peut-être aidé Shame à définir la voie à suivre sur « Food For Worms » est qu’ils appartiennent à une génération plus libre dans ses influences que les précédentes et qui sent moins peser sur ses épaules le poids de figures tutélaires, même s’ils n’ont bien sûr pas échappé aux étiquettes à leurs débuts. Par ailleurs, d’autres formations issues de la résurgence post-punk de ces dernières années ont déjà montré une inclination pour ne pas renier leurs fondamentaux tout en élargissant le spectre. Les Dublinois de The Murder Capital, avec leur second album paru il y a quelques semaines à peine, en sont le meilleur exemple. Et c’est dans cette perspective que s’inscrit « Food For Worms ».
Guitares acérées et chant grondant mènent ainsi toujours les morceaux la plupart du temps, avec un allant qui ne se dément pas dans les meilleurs moments, Alibis et Six-Pack en tête. Sur une bonne partie des morceaux toutefois, le tempo ralentit quelque peu pour laisser davantage de place aux mélodies. On en a une belle illustration sur l’excellent Adderall, Orchid vogue même au gré d’une guitare acoustique et permet à Charlie Steen de jouer d’autres inflexions de sa voix, Burning By Design glisse sur le registre de la ballade incendiaire. Parallèlement, le groupe ne délaisse pas complètement les schémas en montagnes russes tentés sur « Drunk Tank Pink », tout en évitant d’en abuser. L’ensemble donne un album de belle tenue, qui permet d’y voir plus clair sur les qualités et les limites de Shame. Le groupe est peut-être en effet moins virtuose mélodiquement que d’autres formations, moins clinique dans sa radicalité. En revanche, il se taille la part du lion quand il s’agit à la fois de faire dans le brut, dans le souffle, tout en déjouant les schémas les plus évidents. Mais « Food For Worms » ne prend pas pour autant la forme d’un album définitif. Le groupe continue de chercher, trouve parfois, tourne encore à d’autres autour de la formule idéale. Le plus important, en définitive, est certainement la démonstration que Shame est en mouvement et ne donne pas à ses fans l’impression d’avoir fait le tour de leur univers musical.
Publié sur http://www.indiepoprock.fr