PJ Harvey-I Inside The Old Year Dying / Mowno
Longtemps, trop longtemps, les mots se seront faits attendre. La main a tout d’abord tremblé puis, ensuite, s’est figée,
comme paralysée dans le temps et l’espace. Le regard, vide et un peu perdu, a fini par se noyer dans l’abîme d’une
page qui reste désespérément blanche. Blanche comme l’arme avec laquelle, dans nos années les plus tendres, Dry et
To Bring You My Love nous ont poignardés en plein cœur. Blanche comme la pochette des monuments Is This Desire?
et Let England Shake. Blanche comme la petite robe qu’elle portait, un soir d’été 2003, à Rock en Seine. Blanche, enfin,
comme la nuit passée à essayer de remettre un peu d’ordre dans ses idées et tenter, vaille que vaille, d’accoucher de la
première version d’une chronique pour le moins laborieuse. Il n’y a aucune honte à l’avouer: le simple fait d’évoquer son
nom - et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il sera aussi peu cité - intimide et rappelle amèrement que le commun des
mortels, une fois confronté au divin, perd toute légitimité.
Et si, au lieu de chercher de vaines excuses ou culpabiliser, nous cherchions plutôt à nous rassurer? Dans La Fonction
du Balai, l’immense et regretté David Foster Wallace explique - ou, tout du moins, tente d’expliquer - que c’est le mot qui
détermine l’objet et la fonction. Le balai, pour reprendre son exemple, ne deviendra effectivement balai qu’une fois
nommé ainsi et sera, dès lors, limité à son simple rôle d’ustensile ménager. Pour résumer, nous ne serions que mots. A
chaque règle son exception, cependant. Dans le cas présent, l’exception s’appelle PJ Harvey. L’anglaise, définition
même de l’indéfinissable, ne saurait être cantonnée aux vulgaires et trop réducteurs vocables. On en viendrait même à
se demander, en forçant un peu le trait, s’il est humainement possible de parler d’un être aussi inaccessible et
indéchiffrable (ce qui pourrait, au passage, justifier les difficultés rencontrées pour rédiger ce billet doux). La conclusion
est sans appel: seul l’infiniment grand permet d’atteindre les limites du langage.
Pavé, comme l’enfer, de bonnes intentions, le très politique et empreint de lassitude The Hope Six Demolition Project
(2016) avait, sans pour autant manquer d’inspiration, quelque peu raté le coche. Six ans et une crise de confiance plus
tard, son interprète, hantée par le doute, décide de se retrouver et, accompagnée des indispensables John Parish et
Flood, reconstruire l’essentiel pour mieux se réinventer. Portée par une voix magistrale, I Inside The Old Year Dying
s’épanouit, tout en équilibre, dans la contradiction permanente et la révolution immobile. Rarement indécision n’aura été
aussi sereine et obscurité plus lumineuse que sur ce dixième album où, tour à tour, le minéral tutoie le végétal et le feu
caresse la glace. Inutile d’aller plus loin dans le détail et disséquer, titre après titre, le nouvel oracle de la pythie. Quand
elle dompte les éléments et fait danser les oxymores, la confusion des sentiments touche au sublime et autorise, sans
peur, à regarder dieu dans les yeux. En dire plus reviendrait à tout salir.